Les Arros : mise au jour d'une plateforme française

Avant son occupation par les Allemands, la dune des Arros abritait une batterie française alignant 4 pièces de marine de 164,7 mm. Ces canons étaient installés sur des plateformes qui ont disparu avec la construction des casemates et le remaniement complet de la batterie en 1943...
La batterie française dite "de l'épi des Arros" est un projet de la marine qui remonte à l'année 1936 et qui s'est concrétisé en 1939. Les travaux de construction des ouvrages constituant cette batterie de côte destinée à la protection de l'estuaire de la Gironde ont débuté le 16 août 1938 et se sont achevés en mai 1939.
Cette batterie alignait quatre canons de marine modèle 1887, installés sur des plateformes circulaires dotées de soutes à munitions attenantes sur leur partie arrière. Dans le détail, chaque emplacement de tir était constitué d'un anneau en béton ceinturé par une rangée de palplanches ancrées dans le sable et descendant à une profondeur de 4 mètres environ. La partie centrale de l'anneau était garnie de caissons métalliques constituant ainsi la plateforme de marine modèle 1923. En son centre était fixé l'affût (Mle 1893-14) sur lequel était monté la pièce d'artillerie.
L'ensemble de la batterie comprenait également un poste de télémétrie installé dans un ouvrage bétonné, un abri pour projecteur avec plateforme attenante, un abri pour groupe électrogène ainsi qu'une habitation pour le gardien de la batterie. Aucun logement n'était prévu sur le site pour les servants de cette batterie.
Les Allemands qui prirent position sur le site, fin juin 1940, utilisèrent ces infrastructures et cet armement jusqu'en 1943, année de construction des quatre casemates que nous connaissons aujourd'hui, destinées à abriter les canons et  répondant ainsi à une directive de 1942 commandant de protéger toutes les pièces d'artillerie des attaques aériennes.

Localisation de l'une des plateformes de tir

D'après une étude menée à partir d'un plan de la batterie française, et relevant l'emplacement des plateformes et l'intervalle les séparant, nous avons observé que l'implantation des casemates allemandes correspondait à ce plan. Plus aucune trace de ces emplacements de tir d'avant-guerre n'étant visible sur le terrain, il semblait qu'ils avaient été démolis pour laisser la place aux casemates...
Une photo d'archive, prise après les combats d'avril 1945, montre toutefois l'une des plateformes réutilisée par la marine allemande, pour placer la pièce d'artillerie à l'extérieur de sa casemate.
Grâce à cette photo, nous avons pu orienter nos sondages avec précision et localiser les restes de l'ouvrage...


Le premier sondage a permis de mettre au jour un bord de la plateforme. Nous avons observé que les palplanches avaient été découpées...

L'objectif de la fouille

L'opération menée par notre groupe archéologique répondait à un double objectif :
Etudier une structure de la marine française d'avant-guerre et compléter la rare documentation dont nous disposions sur ce type d'ouvrage;
Valoriser le site que notre partenaire, l'AHPNM, fait visiter en l'enrichissant d'un ouvrage de la batterie d'origine.  Accès au programme des visites guidées. 

Fouille de la plateforme de tir 

Après un premier décapage au tractopelle, l'équipe a dégagé intégralement la zone de fouille.
La plateforme française, toujours en place, a toutefois subi quelques suppressions et transformations :
Les alvéoles en béton abritant les munitions ont été démolies... Elles se situaient là où se trouve aujourd'hui l'embrasure de la casemate.
La ceinture de palplanches qui s'élevait à 1,25 m au-dessus de l'anneau en béton, comme protection pare-éclats et pour éviter l'ensablement, a été découpée par les Allemands lorsque ceux-ci ont abandonné la plateforme pour rentrer la pièce d'artillerie dans la casemate.
Les caissons métalliques de la partie centrale supportant l'affût ont disparu, à l'exception de rares vestiges. Ces éléments ont été démontés après-guerre par les entreprises  de récupération de métaux. 


Vue générale de l'ouvrage après évacuation des 30 à 50 cm de sable le recouvrant.

Après nettoyage de l'anneau et dégagement des palplanches...
et après décaissement de la partie arrière jusqu'à l'embrasure de la casemate.

En arrière plan, un câble similaire à ceux observés sur le réseau téléphonique enterré déployé par les Allemands est apparu lors de la fouille. Son passage entre la plateforme et la casemate amène quelques interrogations quant à son origine exacte...
Nous pouvons observer, ici, les aménagements de l'anneau en béton qui a un diamètre extérieur de 9 m et une épaisseur de 60 cm : Une surface bouchardée et une rigole pour l'évacuation des eaux pluviales. La sortie de cette rigole circulaire est située sur le côté ouest, avec une ouverture dans les palplanches visible sur la photo ci-dessous. 

 
  

Comme nous l'avons évoqué précédemment, les caissons métalliques de la partie centrale de la plateforme ont disparu et il n'en reste aujourd'hui que peu de vestiges comme celui photographié ci-dessous :


Lorsque les marins allemands ont ressorti le canon et son affût de la casemate, en avril 1945, afin d'orienter la pièce d'artillerie vers des cibles terrestres, la plateforme de tir se trouvant légèrement encaissée par rapport au relief de la dune, ils ont dû installer une palissade de planches pour contenir le sable en périphérie... Quelque restes de pieux qui maintenaient ces planches ont été découverts sur le bord extérieur de l'anneau en béton :
   
Ce chantier qui a pu être effectué avec l'accord de l'agent local de l'Office National des Forêts apporte un éclairage supplémentaire sur cette structure et son histoire. Cette mise en valeur est d'autant plus importante pour le site que nous ignorons si des vestiges des trois autres plateformes de tir françaises existent encore. Des opérations de sondage seront menées prochainement...